Les canalisations d'eau potable ont souvent plus de 50 ans. Affichant un fort niveau de pertes, le réseau d'eau a besoin d'être rénové. Depuis janvier 2012, les collectivités ont l'obligation légale d'engager ce chantier. Elles y ont aussi tout intérêt. Un réseau efficace garantit la préservation des ressources et de l'environnement mais génère aussi des économies substantielles.
Partie 1
État des lieux
Partie 2
Obligation d'inventaire
Partie 3
Des syndicats d'eau précurseurs
Partie 4
Financer le renouvellement
Partie 5
Un fort potentiel de travaux
Partie 6
En savoir plus :
Chaque année, un quart de la production d'eau potable s'égare dans la nature, en raison des fuites ou incidents sur des canalisations vieillisantes. En effet, la moitié du réseau d'eau potable a été construit avant 1972 et certaines canalisations atteignent près de 70 ans. Mais l'âge des canalisations n'est pas le seul facteur à prendre en compte. Par exemple, les canalisations en PVC installées dans les années 70 posent, elles, un double problème. Elles étaient à l'époque collées les unes aux autres et non jointes, ce qui se traduit aujourd'hui par des ruptures aux jonctions. De plus, les vieux PVC relarguent une substance cancérigène, le chlorure de vinyle monomère, ce qui a amené en octobre dernier le ministère de la Santé à exiger des agences régionales de Santé qu'elles repèrent ces canalisations afin de surveiller la qualité de l'eau distribuée. Pour toutes ces raisons, le ministère de l'Écologie a publié le 27 janvier 2012 un décret enjoignant les collectivités territoriales à établir l'inventaire de leurs réseaux d'eau potable et d'assainissement, et au besoin, de mettre sur pied un plan d'actions pour améliorer leur rendement.
Le décret exige que le descriptif détaillé des réseaux d'eau soit réalisé au 31 décembre 2013. L'inventaire doit indiquer le linéaire de canalisation ; l'année ou, à défaut, la période de pose ; la catégorie de l'ouvrage (eau potable ou assainissement) ; des informations géographiques et enfin les matériaux et diamètres des canalisations recensées. Ces descriptifs devront être mis à jour et complétés chaque année. Au-delà de cet inventaire, les collectivités sont tenues d'atteindre des seuils minimaux de rendement, fixés à 85 % pour les zones urbaines et à 65 % en zones rurales. Si ce n'est pas le cas, la collectivité doit engager un plan d'actions pour atteindre ces seuils. En cas de manquement, elle se verrait doubler le taux de la redevance pour l'usage « alimentation en eau potable » due aux agences de l'eau. Les collectivités éligibles peuvent toutefois obtenir des subventions auprès de ces mêmes agences pour réaliser leur inventaire. « L'enjeu n'est pas de se conformer à un dispositif réglementaire, estime Alain Grizaud, président de Canalisateurs de France, mais de préparer le renouvellement des réseaux pour les livrer en bon état aux générations futures. Le linéaire total pour le seul réseau d'eau potable s'élève à 906 000 km. Au taux de renouvellement actuel, de 0,6 % par an, il faudrait 170 ans pour le renouveler, nous sommes loin du compte. »
Eau 47, la Fédération Départementale d’Adduction d’Eau Potable et d’Assainissement du Lot-et-Garonne, a réalisé son inventaire en 2005. Cette fédération de syndicats d'eau couvre un réseau de 7 500 km en zone rurale peu dense desservant 70 000 abonnés. « Nous avons engagé un ingénieur en stage et monté un groupe de travail avec nos deux délégataires, Saur et Veolia, explique Gérard Pénidon, directeur d'Eau 47. Nous avons découpé le réseau en tronçons, codifiés en fonction de différents critères (âge, matériau, etc.). Nous avons attribué une note à chaque critère pour obtenir une note globale. Celle-ci nous permettait de définir l'ordre de priorité des travaux à effectuer. » À l'issue de ce travail, Eau 47 a établi un programme étalé sur 20 ans pour renouveler 5 000 km de canalisations « structurantes ». N'ayant pas les moyens d'engager les travaux en autofinancement, les syndicats de la fédération ont eu recours à l'emprunt.
« Nous avons commencé en 2006 par un cycle de 4 ans, représentant un emprunt total de 24 millions d'euros, détaille Gérard Pénidon. Théoriquement ça aurait dû augmenter la facture d'eau de 0,03 € par m3 mais comme dans le même temps nous avons renégocié les contrats avec nos délégataires et obtenu une baisse de 35 %, l'usager n'a pas vu augmenter sa facture. L'augmentation de la redevance des syndicats a été compensée par la baisse de celle des exploitants . » Pour certains syndicats, l'effet de ce programme s'est fait immédiatement sentir. Entre 2002 et 2008, le rendement du réseau du syndicat de La Brame est passé de 65 % à 80 %, permettant d'économiser 300 000 m3 d'eau par an. En plus du renouvellement de certains tronçons, les syndicats ont installé plus de 150 réducteurs de pression pour réduire les casses et ajouter des compteurs de secteur afin de mieux surveiller le réseau. Un nouveau cycle de travaux aurait dû être engagé en 2011, mais crise oblige, Eau 47 n'a pas réussi à trouver le financement. « Aujourd'hui, nous allons de nouveau pouvoir emprunter, sans doute à hauteur de 2 millions d'euros par an plutôt que 6 millions, mais l'important est de relancer la machine et de ne pas perdre de temps, conclut Gérard Pénidon. »
L'obligation de réaliser l'inventaire des réseaux d'eau devrait dans le court terme se traduire par une demande accrue de SIG, qui permettent de répertorier, cartographier et codifier les réseaux existants. Ce qui engendrera un surcroît d'activité pour les éditeurs de logiciels, bureaux d'études et les cabinets spécialisés en cartographie. À moyen terme, la réglementation devrait également offrir de nouveaux chantiers aux canalisateurs et entreprises spécialisées dans la recherche de fuite... à un bémol près : « Le décret du 27 janvier 2012 ne se traduit pas encore par de nouveaux marchés pour nous, constate Alain Grizaud. Il existe un fort potentiel de travaux et de réels besoins, mais la problématique aujourd'hui est de trouver les financements. »
Vincent Boulanger