Régis TAISNE est chef de service, adjoint au chef de département de l'eau de la FNCCR (service publics locaux, de l'énergie, de l'eau et de l'environnement).
La FNCCR est signataire de la lettre ouverte aux maîtres d’ouvrage : cette lettre a pour but de les sensibiliser sur leurs responsabilités en matière de performance des réseaux d’assainissement.
Partie 1
Motivations pour cette initiative
Partie 2
Attentes
Partie 3
Un message fort
Partie 4
La maîtrise d'oeuvre à bas prix
Partie 5
Contrôle de la profession
Partie 6
Les prix bas : un risque ?
Partie 7
Initiateur de cette lettre
Qu’est ce qui a poussé la FNCCR à participer à cette initiative ?
Le bon sens !
Pourquoi avoir choisi d’alerter et de sensibiliser les maîtres d’ouvrages ?
C’est un sujet important à nos yeux car nous avons comme adhérents exclusivement des maîtres d’ouvrages, à savoir les collectivités territoriales, organisatrices des services publics locaux de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement, des déchets et des communications électroniques. Dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.
La performance et la qualité des ouvrages représentent des enjeux importants. Il est primordial de bien construire pour ensuite pouvoir exploiter correctement les ouvrages, dans le respect de la règlementation sans avoir à revenir dessus.
C’est un message que nous portons auprès de nos adhérents mais ils en sont déjà largement convaincus.
Qu’attendez-vous concrètement de cette lettre ouverte ?
Nous avons signé cette lettre car nous sommes d’accord avec les enjeux et les priorités qui y sont énoncés. Maintenant, je ne sais pas quel peut être l’impact d’une action type « lettre ouverte ». Je crois a priori davantage aux actions directes de sensibilisation et de formation des donneurs d’ordre, notamment du type de celles que nous pouvons conduire (réponse aux questions des collectivités, organisation de réunions et de groupes de travail sur le sujet, échanges entre « praticiens »,…).
Vous voulez donc montrer que vous allez dans le sens de cette lettre ouverte ?
Oui. Le message que nous voulons relayer est qu’il est important d'avoir des réseaux de qualité. Il faut s’en préoccuper à tous les stades : de la conception des ouvrages, la réalisation des travaux, puis leur exploitation car c’est ce qui fait la performance du service et le respect de la réglementation.
Les ouvrages coûtent chers : les investissements consacrés à l’assainissement depuis les 20 dernières années sont considérables et se poursuivent d’ailleurs encore aujourd’hui.
L’objectif est de construire des ouvrages de bonne qualité pour éviter d’avoir à les refaire quelques années plus tard.
Y-a-t-il un message sur la maîtrise d’œuvre à bas prix, comme Bernard NUCCI le président du SYNCRA a pu l’évoquer ?
C’est une préoccupation apparemment majeure des bureaux d’études, sur la partie « maîtrise d’œuvre » mais aussi sur la partie « assistance à la maîtrise d’ouvrages ».
Nous sommes partagés sur ce sujet. L’objectif des collectivités, conformément d’ailleurs aux obligations du code des marchés publics, est d’avoir « l’offre économiquement la plus avantageuse ». Cela résulte d’une analyse des offres multicritère où le prix ne doit pas être le seul facteur déterminant même s’il demeure important (il s’agit d’argent public et les collectivités sont responsables de sa bonne utilisation). En fait, au plan purement financier, au-delà de l’enjeu sur les coûts d’investissements proprement dits (donc du coût de l’opération et des marchés correspondants), il faut tenir compte des coûts d’exploitation, de maintenance et de renouvellement (attention aux fausses économies immédiates qui se traduisent par des surcoûts ensuite). Il y a donc une priorité évidente à garantir une bonne conception des projets et la qualité de réalisation.
Des critères liés à l’organisation de chantier peuvent également entrer en compte, notamment pour le respect des délais mais aussi pour limiter la gêne occasionnée par les travaux pour les riverains et les usagers du service.
Enfin, il ne faut pas omettre les questions d’ordre environnemental, même s’il est encore délicat d’en faire un critère de sélection à part entière : en effet, il n’y a pas encore de règles d’évaluation standardisées en matière de bilan carbone, d’analyse sur le cycle de vie, etc, et on n’a donc que des éléments déclaratifs fournis par les candidats sans pouvoir garantir leur comparabilité : si sur un marché spécifique le bilan carbone affiché par les candidats s’avérait déterminant pour son attribution, je pense que l’on aurait de sérieux risques de contestation.
La profession est-elle normée ? Y-a-t-il des formations spécifiques à avoir pour les responsables de service en collectivités ?
Comme dans tous les domaines, lorsqu’on a fait une école d’ingénieur dans le domaine de l’aménagement et des travaux publics, il y a des connaissances théoriques à avoir, mais c’est aussi le terrain, la formation continue et les échanges entre collègues qui forment les gens.
Mais concernant les interventions sur les réseaux d’eau, d’assainissement, existent-ils des labels ou des habilitations qui pourraient professionnaliser le secteur pour ne pas voir apparaître des intervenants non qualifiés ?
Il existe déjà beaucoup d’habilitations notamment en matière de travaux (par exemple pour la partie terrassement à proximité des réseaux sensibles, les contrôles de réception des ouvrages,…).
Je ne pense pas pour ma part qu’il soit réellement possible de mettre en place une habilitation concernant les assistants au maître d’ouvrage et maîtres d’œuvre et de définir un degré de compétence requis faute de pouvoir le mesurer : il ne s’agit pas ici d’une simple compétence théorique.
En revanche, nous recommandons notamment que les critères des appels d’offres portent moins sur les références des bureaux d’études et des sociétés (même si évidemment cela reste important), que sur les personnes qui vont être affectées : nous constatons en effet tous les jours que la pertinence du conseil au maître d’ouvrage, la qualité de la conception, le sérieux du suivi et du contrôle des travaux en dépend de façon considérable. Or, nous avons régulièrement des retours sur des bureaux d’études dont les personnes (compétentes et expérimentées) prévues au stade de l’appel d’offres ne sont finalement pas présentes sur le terrain une fois le marché attribué ou très peu. Elles sont remplacées par du personnel moins expérimenté ou par des intervenants non spécialisés dans cette activité. C’est effectivement une conséquence de la pression sur les prix et le niveau de concurrence élevé (actuellement)… Mais les collectivités ont peu de prise sur les stratégies commerciales des entreprises (c’est leur responsabilité et c’est heureux). C’est donc dans les marchés qu’il faut introduire des règles pour garantir que les personnes présentées au stade des appels d’offres seront celles que l’on retrouvera effectivement en charge du projet sur le terrain. Cela ne veut évidemment pas dire qu’aucun changement n’est acceptable (ce serait inapplicable et stupide) mais ces remplacements doivent être encadrés, tant pour être sûr de la qualité de la prestation elle-même que pour assurer l’égalité de traitement des bureaux d’études et entreprises candidates. Ces règles sont d’ailleurs imposées à l’international par la Banque Mondiale ou l’Union Européenne entre autres, sur tous les appels d’offres en maîtrise d’œuvre et en assistance maîtrise d’ouvrage.
C’est une problématique un peu nouvelle pour les collectivités rurales les plus petites qui, dans de nombreux départements, faisaient appel aux services des DDE et DDAF. Elles se trouvent démunies face à la mort de l’ingénierie publique et à la perte de compétences et mémoire qu’elle représente. Les bureaux d’études n’ont pas forcément la capacité de répondre aux mêmes coûts et avec le même niveau de qualité et de disponibilité.
Pour en revenir à la question du prix des marchés, n’y a-t-il pas un risque si les prix sont trop bas ?
Le secteur des travaux proprement dit a toujours été sensible à la conjoncture économique d’où des fluctuations dans les prix souvent très importantes à la hausse ou à la baisse en très peu de temps. Si certaines entreprises décident de baisser les prix, elles entraînent les autres dans leur sillage. Mais à l’inverse, quand le marché est plus tendu, les indices de prix des travaux publics augmentent 2 à 3 fois plus vite que l’inflation. Il faut donc raisonner sur plusieurs années et non sur la tendance immédiate ; à cet égard, les marchés pluriannuels sont assez sécurisants pour tout le monde.
Il ne faut toutefois pas minimiser le risque de cercle vicieux et de dérapage vers des prestations « low-cost » et de mauvaise qualité.
Certaines entreprises reprochent aux collectivités de choisir trop souvent la moins chère des offres acceptables (voire parfois il de ne même pas éliminer les offres anormalement basses). Il est vrai qu’il est parfois difficile de retenir une offre sensiblement plus chère que les autres : cela constitue un pari car un prix élevé n’est pas non plus un gage de qualité. Nous devons donc promouvoir des mécanismes contractuels et d’analyse d’offres qui s’attachent à prendre en compte le coût du projet sur l’ensemble du cycle de vie de l’ouvrage. Il faut aussi que chacun fasse œuvre de pédagogie notamment vis-à-vis des usagers – n’oublions pas que ce sont eux qui payent – (et parfois des oppositions au sein des collectivités mais c’est une autre histoire) pour justifier le choix d’entreprises parfois plus chères à court terme mais moins chères sur la durée.
Mais ce ne sont pas les collectivités qui vont établir les offres des entreprises ! Et il faut être cohérent : nous observons ces dernières années une augmentation considérable des contentieux sur les marchés publics, engagés par ces mêmes entreprises lorsqu’elles sont les moins chères et ne comprennent pas que l’on ne les ait pas retenues….
Pour terminer et conclure sur la lettre, qui a été à son initiative ?
Le SYNCRA nous a proposé de nous associer à cette lettre ouverte et nous avons accepté dès lors que nous en partageons les enjeux.
Nous sommes d’ailleurs également signataire de la charte de qualité des réseaux d’assainissement.